Le billet du mois : Labubu, le petit monstre et la grande machine

Publié le 27/11/2025 - Mis à jour le 27/11/2025

Actualité du CELSA La recherche à la une

par Yuwen Zhang, Attachée temporaire d’enseignement et de recherche – CELSA Sorbonne Université.

Chaque mois, un enseignant-chercheur ou un professeur associé du CELSA s’empare d’un sujet d’actualité, d’une tendance de société, d’une thématique faisant débat et livre son point de vue.

Yuwen ZHANG web

Neuf petites dents pointues, un sourire malin, un peu laid mais mignon à sa manière… depuis 2024, il a déclenché des files d’attente un peu partout, devenant l’accessoire tendance accroché aux sacs de nombreuses célébrités.

Bien au-delà de son apparence de jouet, Labubu, créé par l’illustrateur hongkongais Kasing Lung et propulsé dans le monde entier par l’entreprise Pop Mart, est devenu une véritable licence à part entière, générant plus de 3 milliards de yuans (≈ 386 millions d’euros) de ventes en 2024.

Qu’est-ce qui attire autant les jeunes ?

Alors que les boutiques de grandes marques restent parfois vides dans les centres commerciaux, les magasins Pop Mart sont remplis de jeunes. Dans un contexte de hausse des prix, d’incertitudes économiques et de tensions géopolitiques, les consommateurs recherchent davantage de petites récompenses accessibles. Peut-être qu’on ne peut pas s’offrir un sac de luxe, mais on peut s’offrir un petit jouet. En Chine, un blind box classique chez Pop Mart coûte en général 59 à 99 yuans, en France, environ 18 à 20 euros.

Les consommateurs y voient une forme d’“imperfection”, différente des mascottes mignonnes, qui résonne avec les besoins émotionnels et expressifs des jeunes générations. Visuellement, Labubu mélange le bizarre et le réaliste : ses dents en zigzag apportent une touche de rébellion, tandis que son corps arrondi et ses yeux clairs en atténuent l’agressivité. Debout ou assis, son expression suggère une petite malice. Cette contradiction correspond au désir d’expression personnelle des jeunes : ni trop gentillet, ni trop agressif, avec même une légère part d’ombre. La consommation contemporaine s’inscrit dans un capitalisme émotionnel où les objets deviennent des supports d’affects (Eva Illouz, 2007), Labubu illustre précisément cette économie émotionnelle. Les réseaux sociaux jouent également un rôle accélérateur, notamment après plusieurs célébrités ont commencé à montrer Labubu sur leurs comptes Instagram, déclenchant l’enthousiasme des fans et alimentant un marché énorme.

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Une “économie du blind box” : abordable, mais difficile à obtenir ?

Si Labubu fascine, c’est aussi parce qu’il s’inscrit dans la logique affective et participative de l’économie du blind box. En réalité, même si le prix reste modéré, l’achat de blind boxes crée une forme de rareté à forte valeur sociale. Pour la série principale de Labubu The Monsters, chaque génération propose 6 modèles par boîte scellée, la probabilité d’obtenir une couleur est donc de 1/6. Toutefois, chaque série comprend une figurine “secrète”, avec un taux d’apparition d’environ 1/72. En théorie, il faudrait donc près de 7 128 yuans pour tomber sur un modèle caché. Cette rareté transforme la possession de Labubu en signe de distinction : la chance (trouver la version secrète), le pouvoir d’achat (acheter des éditions limitées) et encore la créativité deviennent autant de formes de capital social dans la communauté.

Alors, pour un jeune consommateur, avec un peu de chance, il devient possible d’acheter, à un prix accessible, quelque chose de très rare, parfois même la même pièce que portent les célébrités.

Face à la demande, il est fréquent de ne rien trouver en magasin, les ruptures sont longues, et des disputes éclatent parfois lors des achats. Les boutiques de plusieurs pays, dont la France, ont même suspendu temporairement la vente de la série Labubu, avant de réinstaurer un système d’inscription en ligne puis de tirage au sort pour pouvoir acheter en boutique. Quoi qu’il en soit, obtenir le Labubu que l’on souhaite procure une grande satisfaction.

Pop mart

Industrie du jouet et de l’IP en plein croissance ?

Labubu est né en 2015 dans la série de livres illustrés The Monsters de Kasing Lung. Il n’était au départ qu’une créature imaginaire. Pop Mart en a obtenu la licence exclusive en 2018. L’entreprise développe des séries en partenariat avec des artistes indépendants, comme Kenny Wong pour la figure Molly, ainsi qu’avec des franchises mondiales, dont Disney.

Après avoir obtenu leur Labubu, beaucoup de consommateurs lui créent des accessoires personnalisés : vêtements sur mesure, bijoux, modification de couleur de peau, changement des yeux, etc. Ces formes de création secondaire deviennent non seulement un espace d’expression personnelle, mais aussi un moteur économique pour toute une industrie dérivée. À Yiwu, ville considérée comme le “supermarché du monde”, les entreprises de fabrication de vêtements pour poupées ont vu affluer des commandes internationales (CCTV Finance, 2025).

À Pékin, dans un coin du parc Chaoyang, un parc à thème Pop Mart est en construction et partiellement ouvert. Comme tous les parcs à thème, il est rempli d’objets-simulacres, propose chaque jour des spectacles Labubu qui rendent les enfants fous, ainsi que des éditions exclusives du parc.

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Selon son rapport financier 2024, Pop Mart a réalisé 13, 04 milliards de yuans (≈ 1, 68 milliard d’euros) de chiffre d’affaires en 2024, soit +106,9 %. L’international est en tain de devenir le principal moteur, les ventes hors Chine atteignent 5, 07 milliards de yuans(≈ 0, 65 milliard d’euros), en hausse de 375 %. Fin août 2025, la quatrième génération de Labubu propose 28 modèles, de A à Z, auxquels s’ajoutent deux versions secrètes. Leur probabilité de sortie, fixée à 1 sur 168, renforce encore la mécanique de rareté et rend l’achat plus difficile que jamais. Cette popularité va-t-elle durer ? Difficile à dire.

Pour de nombreuses raisons, il reste souvent difficile pour les marques chinoises de s’implanter à l’étranger. Pourtant, Pop Mart, grâce au modèle du blind box et surtout à la “valeur émotionnelle” de Labubu, semble avoir partiellement brisé cette barrière, ou du moins fait oublier son origine chinoise. Standardisation des personnages, optimisation de la rareté, scénarisation de l’achat et extension à des parcs à thème. C’est bien cette articulation entre affects et dispositifs marchands qui fait aujourd’hui de Labubu un objet emblématique. Récemment, Sony Pictures a acquis les droits d’adaptation du film Labubu, peut-être verrons-nous bientôt une œuvre audiovisuelle. Alors, Pop Mart pourrait-il devenir un futur “Disney” ?

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Ressources

  • CCTV Finance (25 août 2025). « Explosion des commandes : les demandes affluent du monde entier ». La Voix de la Chine.
  • Illouz, Eva. Cold Intimacies: The Making of Emotional Capitalism. Cambridge : Polity Press, 2007.
  • Pop Mart. Rapport annuel 2024.

(C) : photos prises par l’auteure.

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