Le billet du mois : « Vitrines de Noël : fantasmagories de la marchandise ».

Publié le 02/12/2024 - Mis à jour le 09/10/2025

Actualité du CELSA La recherche à la une

par Karine Berthelot-Guiet, Professeure des Universités – CELSA Sorbonne Université, chercheuse au GRIPIC

Chaque mois, un enseignant-chercheur ou un professeur associé du CELSA s’empare d’un sujet d’actualité, d’une tendance de société, d’une thématique faisant débat et livre son point de vue.

Karine Berthelot Guiet

L’année 2024 est une année faste pour les vitrines animées des grands magasins parisiens : la presse classique et les brèves en ligne se font toutes l’écho de communiqués de presse bien tournés. Depuis les réseaux sociaux, sites médiatiques, sites de professionnels du design, de la mode, du marketing, de la publicité, jusqu’aux conseils de visite dispensés par les hôtels de la capitale, tous chantent l’événement : les vitrines animées des grands magasins ont 100 ans (pour le Printemps du Boulevard Haussmann) ou 130 ans (pour Les Galeries Lafayette à la même localisation) ou 131 ans (pour Le Bon Marché, rue de Sèvres) voire 150 ans si l’on en croit les informations données pour l’enseigne Macy’s, à New York. À cet âge vénérable, loin d’être obsolètes, les vitrines animées des grands magasins sont présentées comme des incontournables des fêtes de Noël parisiennes. Ce dispositif de communication affiche son importance, réclame sa participation au patrimoine parisien et international des festivités marchandes de Noël et proclame la vigueur des spectacles de la société de consommation.

L’on va voir les vitrines animées des grands magasins, parfois avec l’alibi d’y conduire les enfants, mais qu’allons-nous y faire exactement ?  Que disent-elles de notre consommation ? Quel spectacle nous donnent-elles et dans quel spectacle nous enrôlent-elles ?

Comment sont nées les vitrines de Noël ?

Ces centenaires sont en grande forme, comme en témoigne le carrousel des déclarations des grands magasins français. Si la valse des dates fait sourire, l’empressement à être reconnu comme magasin fondateur de la tradition est tout à fait sérieux. Il y a donc là quelque chose à gagner, ne serait-ce que de la notoriété, de la reconnaissance, du patrimoine et, plus simplement, des visiteurs qui entrent ensuite dans les magasins et deviennent peut-être des acheteurs. Il ne faut certainement pas traiter avec légèreté autant d’empressement marchand. Il nous dit beaucoup sur l’univers de la consommation et plus largement sur notre société, locale comme globale.

Les grands magasins et les vitrines sont nés de l’évolution des échanges marchands dans le Paris du XIXe siècle. Ils émergent d’une transformation du rapport physique aux produits, d’abord, autour de 1820, dans les passages parisiens qui mettent à l’abri des intempéries et permettent la naissance de la promenade marchande. On a le temps de la flânerie et une sélection de l’offre s’expose dans les vitrines nouvellement créées des magasins de nouveautés. Les chalands les admirent pour apprendre la « nouveauté » et l’on achète cette valeur autant, voire plus que l’objet lui-même [1]. Avec le grand magasin né de l’évolution du magasin de nouveautés, selon le modèle proposé en 1852 par le Bon Marché, l’accent est mis sur l’accès direct à la marchandise, sans comptoir et arrière-boutique cachant l’offre et avec des vitrines qui sont autant de préludes à l’entrée. 

Des dispositifs publicitaires bon enfant ? 

Les vitrines des grands magasins participent, dans l’imaginaire des célébrations dans les grandes villes européennes et américaines, des incontournables sorties de Noël. Elles font partie d’une sorte de calendrier de l’Avent. Les petites boites-fenêtres à ouvrir progressivement trouvent un terrain d’action dans la ville. Notons que la version domestique dudit calendrier connait actuellement une extension impressionnante mêlant pochette surprise, cadeau à soi-même et autres médiatisations de l’unboxing

Paris se transforme en vitrines de l’Avent, que les adultes fréquentent volontiers avec ou sans l’alibi des enfants. Bien que les bambins soient toujours officiellement les principaux bénéficiaires, comme le montrent avec ostentation les petits podiums, revêtus parfois de tapis rouges, qui montent les petites reines et les petits rois à la hauteur du spectacle de la marchandise [1].

C’est qu’il se joue derrière ces festivités gratuites une autocélébration de la société de consommation car « la vitrine est avec la publicité le foyer de nos pratiques urbaines consommatrices » [2]. Ces contes de Noël, spectacles gratuits en apparence, participent de l’apprentissage, à tous les âges, de la consommation et de ses rituels. La planète célèbre désormais Noël comme fête internationale [3] de la consommation qui met en évidence le fonctionnement de la consommation, selon la « logique du Père Noël » [4]. La publicité, dont les vitrines animées sont une des formes, propose des spectacles gratuits qui assurent une adhésion d’une majeure partie du public à la société, comme le font les grandes fêtes et célébrations offertes par la puissance publique [5].

Pourquoi allons-nous encore voir les vitrines de Noël à l’heure des achats en ligne ? Comment expliquer ce paradoxe ?

Dans la plupart des cas, les achats de Noël seront faits en dehors des grands magasins et, de plus en plus, en ligne. L’offre est plus large, la capacité de comparer plus aisée à mettre en œuvre ; on fait l’économie de longs errements en magasin et de coûteux déplacements, tant en temps qu’en tranquillité d’esprit. Après la fête, le grand marché des cadeaux continue, entre la dépense des pécules et autres bons cadeaux, l’achat à meilleur marché et la remise en circulation de ceux qui ne plaisent pas, ne vont pas, doublonnent.

Pourquoi aller dans le froid, dans un Paris bondé, faire la queue pour passer quelques secondes, souvent avec une vue parcellaire et le stress de perdre les éventuels enfants, devant des vitrines publicitaires ? Alors que ces mêmes badauds cherchent à éviter la publicité le reste du temps, depuis les autocollants « stop la pub » sur les boites aux lettres jusqu’aux logiciels de blocage publicitaires.

Allons chercher quelques réponses en ligne. La requête « vitrines de Noël » sur un réseau social connu pour ses productions vidéo et son public jeune, nous propose des petits films d’experts autoproclamés des vitrines qui incitent à en faire la tournée. Ils en proposent les programmes et précisent les dates d’inauguration, les principaux choix scéniques, les créateurs invités pour les penser et les marques qui y sont associées. Une fois le lancement fait, ils dispensent commentaires, itinéraires, conseils et  « critiques ». Ces hérauts de boîtes-cadeaux surdimensionnées parent souvent leurs éloges de quelques remarques personnelles retaillées à la carrure du collectif : nostalgie, enfance, promenade attendue encadrée par les adultes, tout y est. 

Une grande transformation se joue devant les vitrines, touristes et badauds en ressortent transformés. La vitrine est la madeleine de Proust des fêtes de fin d’année de générations successives de « parisiens » d’un jour. 


[1] Walter BENJAMIN, Le livre des passages, Les éditions du cerf, Paris, 2021.

[2] Jean BAUDRILLARD, La société de consommation, GallimardParis, 1970

[3] Daniel MILLER, Unwrapping Christmas, Oxford University PressOxford, 1993.

[4] Jean BAUDRILLARD, Le système des objets, Gallimard, Paris, 1968.

[5] Louis MARIN, Le portrait du roi, Les éditions de Minuit, Paris, 1981

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